Gaumont: ceci n'est pas un producteur de cinéma
Et si Magritte avait peint une entreprise de la cote française.
Ceci est le premier article de cette newsletter. D’avance je vous préviens, le style pourra être acide, parfois cynique mais toujours avec de l’humour.
Introduction
On présente plus Gaumont: producteur de cinéma centenaire, créé à la fin du XIXe siècle, possesseur d’un grand nombre de très belles salles de cinéma grâce à une alliance avec Pathé.
Et pourtant si, il va falloir la présenter. Et oui, un peu comme MacDonald n’est pas une entreprise de restauration mais un spécialiste de l’immobilier (extrêmement) bien placé, Gaumont n’est pas, ou plutôt n’est plus, un producteur de cinéma.
Alors qu’est-ce que c’est Gaumont?
Oui bien sûr, tout commence dans le cinéma, ou plus exactement dans le matériel photographique et cinématographique en 1895, pour ensuite créer du contenu, puis acheter des salles. On notera pour l’anecdote, l’existence de GMG, la Gaumont Metro Goldwyn, suite à un accord avec MGM en 1925.
On accélère et en 1975 c’est au tour de Nicolas Seydoux de prendre et garder la présidence depuis. Enfin on arrive en 2001 et l’alliance entre Pathé et Gaumont pour créer les cinémas Pathé-Gaumont.
Mais il y a eu une transition il y a 10 ans avec l’arrivée de la télévision et surtout des séries TV (et oui, chez un producteur de cinéma, les séries télévisés c’est quelque chose de très récent… même si chez Gaumont on connaît bien la TV avec les droits de diffusions, d’autant plus qu’on aime bien la comptabilité et on peut en faire beaucoup de chose d’un catalogue mais on y reviendra dessus plus loin).
Donc y a 10 ans, Gaumont se lance dans la production de série TV, pour le marché Français d’abord. Puis lentement et sûrement la part TV augmente jusqu'à culminer en 2015.
Côté cinéma c’est aussi une transition puisqu’en 2017 Gaumont cède sa part des salles cinéma à Pathé.
Les années passent, et en parallèle après le pic de 2016, c’est une érosion lente et constante des revenus de la production cinématographique, avec le point le plus bas en 2021, mais pas forcément 100% pertinent à cause du Covid.
Puisqu’un graphique vaut mieux qu’un long discours en voici deux: le CA en million d’euros de la part Cinéma (en bleu) et de la part Série TV (en rouge).
Le second graphique représente pour chaque point la moyenne des 3 dernières années (année X, X-1, X-2) pour atténuer l’effet Covid et les décalages de production et de sortie.
Bref, Gaumont n’est donc plus un producteur de films de cinéma qui possédait (en parties) des salles mais un producteur de série TV.
Et c’est un sacré changement, mais un de ceux qui me plaisent.
Alors qu’est ce que ça change?
Pour les séries, des revenus négociés au début à la production, ou à la vente, quel que soit le volume de spectateurs pour une saison. A la différence du cinéma qui offre des revenus proportionnels aux entrées mais surtout dont la rentabilité ne se voit que sur la durée car bien des films français ne sont pas rentable à la sortie. Mais bon, quand on voit le cinéma français et ses films pour jeunes bobos parisiens, c’est une bonne chose pour Gaumont (oups, je me suis permis un commentaire très personnel ;) )
Vous allez me dire, oui mais “Lupin” et le succès sur Netflix ne rapporte pas plus à Gaumont. Certes, mais Netflix va vouloir signer pour une saison 2 (voir plus) et les négociations se font alors sur des bases plus élevées.
Si le domaine du cinéma est plus classique (succès local = > on tente de l'exporter à l’international, avec plus ou moins de succès), le domaine des séries c’est un peu la bataille des compagnies de chemins de fers pendant la ruée vers l’or. Tout le monde veut les meilleures séries pour capter un maximum de clients. Bref, Gaumont a un énorme boulevard pour produire pour Netflix, mais aussi pour vendre à Amazon, Disney+, Paramount+ et n’importe quelle plateforme (sérieuse) qui se monterait. Oui, Salto aussi, mais vu qu’on parlait jusqu’ici de plateforme sérieuse, on ne va pas en parler :) - oups, I did it again :).
Attention bien sûr, on est dans la période où le contenu est roi (comme le cash, enfin avant l’inflation…), mais ce n’est pas dit que ça dure des décennies. Il y aura un moment où certaines plateformes réduiront leur budget d’achats ou fermeront purement et simplement (prédiction: dans les deux cas, Salto).
Mais pourquoi Gaumont ne communique pas beaucoup sur ce sujet?
J’ai plusieurs hypothèses, et je serais intéressé d’avoir la vôtre.
Ma principale hypothèse c’est qu’on souffre du prisme Français: Gaumont communique en France sur ces activités françaises et le cinéma y compte pour beaucoup. La dernière interview, en anglais et à destination du marché américain, suite au deal avec Paramount+ renforce ce prisme mais de l’autre coté. Pour le marché US et des investisseurs non-Francophone, Gaumont est un producteur de séries pour chaines TV et plateformes de streaming, et en conséquence, ils communiquent comme tel.
Il y a aussi d’autres possibilités, mais qui sont d’un second ordre.
Le cinéma représente encore une bonne partie du CA, et les droits TV sur le catalogue cinéma représentent un excellent fond de portefeuille.
Ou plus cynique. Une partie du business de Gaumont est de ne pas se faire d'ennemis parmi les gens du monde du cinéma français. Alors si vous dites à un acteur parisien un peu bobo que Gaumont veut surtout vendre des séries plus que le film qu’elle produit avec lui, pas sur qu’il apprécie, d’un point de vue communication locale, il vaut mieux être un producteur français de films français qu’un fournisseur de plateforme de streaming US.
La dernière hypothèse, c'est une question de valorisation: comment valoriser un catalogue de série? Je suppose qu’il a une durée de vie bien moins importante qu’un catalogue de films. Qui regardera la saison 1 d’une série à la mode aujourd’hui dans 10 ans? Peut-être pas grand monde… D’autant plus qu’en fonction des contrats, Gaumont ne récupère pas tout le temps les droits sur le long terme. D’ailleurs, si quelqu’un à un avis dessus ou une méthode de valorisation je suis preneur.
Et en bonus: on a de l’immobilier. Lorsque Gaumont à revendu sa part de Pathé-Gaumont, tous les cinémas ont été revendu. Mais il reste de l'immobilier sur les Champs Elysées à Paris. Sympa, un immeuble qui vaut entre 100 et 200 Millions en plus de l’entreprise.
Et un producteur de cinéma qui est en fait un producteur de série, ça vaut combien?
Si on prend les derniers chiffres, on a un EBITDA d’environ 158 Millions, 5 Millions de trésorerie et de l’immobilier pour 170 Millions.
Ici, le rapport de l’expert “indépendant” va nous aider puisqu’il indiquait lors de son rapport en 2018 que les multiples de valorisation VE/EBITDA du secteur étaient de 3x a 4x en médiane et de 5x à 6x en moyenne pour le secteur (en fonction des années).
Prenons une fourchette large: de 2x l’EBITDA (“avec le covid c’est dur” / “ le cinéma c’est difficile”) à 8x (“un producteur rentable, en croissance, avec de super accords avec les plateformes US et de ce fait une audience mondiale”), on obtient une valorisation par action de 160e à 460e. Oui c’est un râteau plus qu’une fourchette mais on notera que la borne basse est bien au-dessus du cours actuel.
Ce qui nous donne de manière visuelle:
De mon côté, je prends un objectif moyen ici, donc 5x l’EBITDA (+ cash + immobilier)=> 310e / action.
Gaumont dans votre portefeuille
Les 10 raisons pour avoir Gaumont dans un portefeuille:
Vous avez un producteur de contenu international qui travaille avec un grand nombre de plateformes et de chaine de TVs.
C’est disponible en PEA et en PEA-PME
Ca n’est pas une action très volatile
Les réponses des questions aux AGs sont assez drôles (oups)
C’est l’occasion d’avoir de l’immobilier parisien qui double sa valorisation en quelques temps (oups), et au delà de l’anecdote compte il y a l’immobilier à intégrer dans la valorisation.
Le contenu est vendu une première fois (ciné / plateforme) mais intègre ensuite le catalogue pour l’éternité (sous réserve de la récupération des droits)
La création de valeur est régulière et visible sur le long terme
Un potentiel d’OPA/OPRO pour obtenir une prime sur le cours
Vous n’êtes pas seul: des fonds sérieux en ont (dont HMG Finance, Gay-Lussac, Amiral Gestion, Squad Capital). Cela pourra aider en cas d’OPRO à un prix trop bas.
Il y a une valorisation potentielle élevée.
(attention, le #4 et #5 nécessite d’avoir quelques explications)
Pourquoi NE PAS avoir du Gaumont dans votre portefeuille:
Il y a déjà eu plusieurs OPA et tentatives d’OPRO à un prix trop bas
La communication vers les actionnaires est plutôt négative (c’est difficile, le covid, etc etc).
Dans le même registre, le catalogue est déprécié de manière importante certaines années.
Le flottant n’est pas grand (un peu plus de 10%) ce qui à un impact sur la liquidité
Un risque d’OPA/OPRO, malheureusement la loi française est assez permissive et l’AMF ne veut pas rentrer dans les discussions de valorisation.
Ce n'est pas une action qui deviendra un 10-bagger.
Bref, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Pour rentrer un peu dans les explications sur les points “positifs” #4 et #5.
Pour les réponses en AG, ma réponse préférée est: “Afin d'améliorer la communication du groupe avec ses actionnaires, pensez-vous mettre en place un contrat de recherche et/ou un contrat d'animation du titre avec une société de bourse ?(...)” => avec la réponse (comique, sic):
“(...) A cet égard, en tant que détenteur de près de 12% du flottant, nous vous rappelons qu’il vous revient, plus qu’au Conseil d’Administration, d’animer le marché du titre”
Pour l’immobilier: il faut revenir aux rapports financiers et au rapport de l'expert “indépendant” (au sens de l’AMF): l’immobilier est passé d’une valorisation de 86 millions d’euros en 2017 à 170 M€ au 31 decembre 2021. Oui oui vous avez bien lu, quasi x2 en quelques année.
Un autre regard - et si on se plaçait à la place du board de Gaumont pour sortir la boîte de la cote?
Voila les étapes que je suivrais:
J'arrête le sketch des AGs. Les petites blagues en réponse à des questions d’actionnaires sont drôles pour qui aime la finance, mais ça n’a pas l’humour des dialogues d’Omar Sy.
J’ouvre les poches de mon manteau, et j’en sors les oursins des poches.
Je continue à sortir les oursins des poches (oui oui, vu le prix des OPAs précédentes, il y en a beaucoup, au moins deux étapes).
Je changerais d’expert indépendant en lui donnant l’indication qu’on veut que l’OPRO se fasse sans soucis avec les fonds.
Je mettrais un prix correct, cf. la table au dessus (c’est à dire au moins 300 euros).
Et si besoin, je demande conseil à quelques gérants de fonds. Voir, si cela est autorisé, je les associe au processus.
Et pour troller les médisants (dont je fais partie), j’offre un ticket de ciné (Pathé (?)) pour un film avec Guillaume Canet.
Disclaimer et biais:
Le rédacteur de cet article est actionnaire de Gaumont. Parfois il regarde des séries sur Netflix, mais ne va pas trop au cinéma (et grosse allergie aux films avec Guillaume Canet, le seigneur des bobos - oups). Et enfin, cette newsletter ne doit pas être considérée comme une recommandation ou un conseil, mais un simple regard sur des entreprises cotées.
Aucun salarié de Salto n’a été maltraité durant l’écriture de cet article.
Pour continuer
Pour poursuivre votre exploration sur Gaumont, je vous invite à parcourir les liens suivants:
L’excellent article du blog leprojectlynch.com http://leprojetlynch.com/2017/07/gaumont-encore-du-cinema-decote/ initié il y a 5 ans, mis à jour de temps à autre et avec un paquet de contenu supplémentaire dans les commentaires quand ce n’est pas remis dans le corps de l’article.
Le service Les Daubasses a publié un article la meme année (en seconde partie du billet de blog): https://blog.daubasses.com/2017/07/02/nouvelle-experience-daubasses-un-laboratoire-sur-les-petites-societes-europeennes/
Pour retrouver des interviews récentes:
Interview de Sidonie Dumas, DG de Gaumont - Mars 2021, chez BFMTV: https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/le-grand-journal-de-l-eco/sidonie-dumas-gaumont-comment-gaumont-s-adapte-a-la-crise-sanitaire-02-03_VN-202103020423.html
Interview (en anglais) de Sidonie Dumas et Christophe Riandee, chez Deadline : https://deadline.com/2022/04/lupin-narcos-netflix-spinoffs-series-gaumont-paramount-deal-profile-1234994406/
Gaumont: ceci n'est pas un producteur de cinéma
Pas de décote sur l’immobilier ?
Intéressant mais trop incomplet. Vous n’avez pas calculé de décote sur l’immobilier.