J'ai lu récemment le livre Conquérir le monde avec son équipe de l'ancien dirigeant d’Essilor : Xavier Fontanet. Ayant trouvé ce livre très intéressant, j'ai décidé de vous en faire un article.
J’ai utilisé la fonction voice-over pour rajouter une version lue de ce contenu, n’hésitez pas à tester et à me dire si cela apporte de la valeur à l’article.
Il s’agit donc à la fois d’une note de lecture et de précisions que j’ai pu glaner et apporter ici.
Ce livre de 180 pages est à la fois un livre historique mais aussi un livre de stratégie sur le développement d'une entreprise.
Il est à mon sens découpable en 3 parties. Une première partie concerne l’état de l’entreprise et les premières décisions de Xavier Fontanet lors de son arrivée chez Essilor en 1990. La seconde partie est le cœur de l’ouvrage avec la conquête du monde, zone géographique par zone géographique, au fur et à mesure du temps. Enfin la troisième partie apporte des précisions sur des choix de financement et l'intérêt de l'actionnariat salarié.
Les premier pas de Xavier Fontanet à la tête d’Essilor
Comme beaucoup de grandes entreprises françaises elle n’est pas “née” Essilor mais son nom est issu de regroupements, fusions et autres arrangements.
A l’origine, en 1849, l’Association fraternelle des ouvriers lunetiers qui devient très rapidement la Société des Lunetiers (avec l’acronyme SL). Il faudra attendre 1962, pour que la SL devienne la Essel (pas trop difficile jusque là :) ?).
En parallèle, les frères Lissac créent en 1932 l’entreprise Lissac qui deviendra Silor.
Le mariage entre Essel et Silor donne naissance à Essilor en 1972. Nous sommes sauvé par le changement de nom, sinon on aurait eu Essellissac, l’opticien premier fournisseur de patients pour les orthophonistes.
Outre ces digressions de nom, je note que Valoptec (une association d’actionnaires d’Essilor) est créée à ce moment-là. On en reparlera dans la dernière partie de cet article.
Passons ces joyeusetés historiques, pour attaquer le vif du sujet. En 1990, Essilor c’est 5 lignes de produits et une entreprise qui donne “des signes d'essoufflement". Xavier Fontanet et le conseil d’administration décident alors de recentrer l’entreprise sur son cœur de métier de fabrication de verres et de supprimer les marchés les plus faibles.
Il faut alors se séparer de 4 des 5 lignes de produits les moins pertinentes pour se concentrer sur une seule. Et donc coup sur coup, la partie fabrication de montures, les verres de contacts (= les lentilles), les implants intraoculaires (utilisés pour des maladies telle que la cataracte) et les zooms à destination de l’industrie spatiale seront vendus.
S’il est facile de valider le raisonnement à posteriori, ce choix sur le moment n’est pas forcément le plus simple (certaines lignes pouvaient être considérées comme l’avenir). Comme on le verra, cette volonté de se concentrer (“focus” comme dirait les anglophones) restera par la suite.
Dans la même veine, afin de se se concentrer mais aussi de pouvoir décider rapidement, la décision est prise d’avoir une direction centralisée au siège en France.
La conquête du monde, un pas après l’autre
Pour "conquérir le monde” face à ses concurrents, il y a deux axes possibles. Soit on se bat en vendant de meilleurs produits. Soit on se bat en étant meilleurs d’un point de vue géographique: il faut aller vendre le bon produit dans les bons pays, sachant qu’une stratégie de répliquer exactement la même chose partout ne fonctionne pas forcément.
Mais la première chose à faire, c’est de regarder les concurrents. Et c’est d’autant plus facile lorsqu’ils sont cotés puisqu’il suffit de lire les rapports annuels. En passant c’est à la portée de n’importe quel investisseur individuel pour son portfolio mais cela nécessite du temps. La contrepartie, c'est que dès que vous êtes un poil à gratter vous pouvez être sûr que les concurrents en question décortiquent vos documents.
Le premier pays pour l'international sera les Etats-Unis, puis la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, et enfin Essilor s'attaquera d’un morceau à l'Amérique du Sud.
Je ne vais pas détailler ici chaque pays, je vous invite à lire le livre, mais je vais partager les éléments qui me paraissent les plus intéressants.
Le début de cette conquête du monde (re)démarre par les États-Unis. Redémarre car Essilor y est déjà mais est talonnée par ses concurrents qui se développent plus vite. Dans une approche qui rappelle un moment Kobayashi Maru: puisque Essilor ne peut pas gagner avec les règles actuelles, il s’agit de changer le jeu, ou plutôt de “déplacer le jeu”. Là où les fabricants de verres ne font que de la série aux Etats-Unis, Essilor décide de se lancer dans le marché de la prescription en rachetant des laboratoires les uns après les autres. Et pour faire signer un plus grand nombre, ils ont l’idée d’utiliser un système de partnership. C'est-à-dire qu’Essilor propose un partenariat où l’entreprise acquiert 50 % du laboratoire et le propriétaire initial a le choix de conserver le reste ou une option pour le vendre à l’avenir. Offre forte intéressante qui assura le succès d’Essilor dans le pays en développant rapidement son réseau, au prix d’une utilisation importante de capitaux.
Direction la Chine ensuite, ou plus spécifiquement Shangaï. Pour rappel, la direction d’Essilor est centralisée, ce qui permet d’avoir une très bonne vue d’ensemble de la situation pour prendre des décisions rapides. Ils décident alors de construire une grosse usine à Shanghai, afin non pas de couvrir seulement le marché chinois mais pour alimenter toute l’Asie, voir l'Amérique.
S'il y avait eu une direction locale alors on aurait prévu pour un petit marché donc un petit budget donc une petite usine. Pour rappel, il y a 25 ans le marché chinois était beaucoup plus petit: en effet le PIB chinois a été multiplié par 20 entre 1990 et 2020 !
Le reste de l’expansion géographique est du même registre. A noter que quelque soit le pays, Essilor acquiert régulièrement des entreprises afin d'accélérer son développement, soit environ une centaine entre 1995 et 2010. Ils ont donc dû faire de gros efforts d’intégration !
Comment financer sa croissance et embarquer les salariés dans l’aventure
Cette dernière partie est intemporelle et est un regroupement d’éléments qui ont aidé la croissance d’Essilor.
Tout d’abord il y a le fait d’avoir son plus vieux marché, façon vache à lait qui assure le financement à l’international. Dans le cas d’Essilor, ce fut l’Europe. Merci Xavier, les opticiens européens te remercient (vrai) mais aussi les Français et la Sécu aussi (rire jaune).
Au-delà de ce trait d’humour, il est intéressant de voir qu’entre ce choix financier (très standard au demeurant) et le fait de centraliser les décisions a entraîné des changements positifs pour la France. Le coût du travail non diplômé en France étant élevé, au fur et à mesure les usines françaises seront transformées en usines pilotes ou en support des centres de recherches c'est dire qu'en 20 ans on a remplacé les ouvriers par des ingénieurs et du marketing. Bref, la globalisation décriée par certains permet une augmentation du salaire moyen par employé français !
Par ailleurs, cela permet à Essilor de faire progresser sa R&D sur les process et les machines. En effet, il est bien beau de vendre des produits de plus en plus avancés technologiquement mais encore faut-il pouvoir les produire, et avec le volume correspondant à la demande.
Il y a aussi la présence de Saint-Gobain au capital pendant 15 ans qui assure à la fois une stabilité et de la liquidité pour les actionnaires de Valoptec. En effet, Saint-Gobain fut actionnaire dans les deux étages: directement dans Essilor, mais aussi dans Valoptec.
Au-delà de la conquête du monde par Essilor, Valoptec est probablement l'élément le plus intéressant de ce livre. Valoptec c’est l’association des salariés (ou ex-salariés) actionnaires. Elle fut créée pour regrouper ces gens lors de la fusion d’Essel et de Silor en 1972. Elle fut pendant longtemps l’actionnaire principale d’Essilor, en particulier grâce au droit de vote double (supprimés lors de la fusion avec Luxottica). Les différents dirigeants successifs d’Essilor se servent de Valoptec pour prendre la température ainsi qu’expliquer les changements à venir et le président de Valoptec siège au conseil d’administration d’Essilor.
Bref, Valoptec joue le rôle des représentants des actionnaires salariés que l'on retrouve aujourd’hui dans la loi PACTE de 2019. Essilor a-t-il inspiré Emmanuel Macron sur ce sujet?
Au-delà de décrire le fonctionnement de Valoptec, Xavier Fontanet met en avant 2 avantages d’une telle association pour les entreprises françaises. Tout d’abord il s’agit d’un alignement salariés-actionnaires-dirigeants et ensuite il s’agit d’une possibilité pour rendre les gens plus autonomes en les aidant à constituer une retraite par capitalisation.
Alors ce livre, qu’est ce que j’en pense?
Une petite liste, à la Prévert, des éléments intéressants:
il est facile et rapide à lire, et la partie conquête du monde se lit presque comme un roman,
on y trouve tout: un “parcours humain” où l’auteur décrit à la fois le fonctionnement de l’entreprise et y distille quelques anecdotes,
le re-focus initial en vendant volontairement certaines branches de l’entreprise,
la fin du livre sur l’actionnariat salarié.
Et s’il y avait une ré-édition, qu’est ce que j’aimerai y voir:
Globalement un peu plus de contenu, je pense qu’il y a de quoi y ajouter de nombreux détails et anecdotes sans vraiment alourdir,
Un peu plus de précision sur les relations avec le conseil d’administration lors des différents changements de l’entreprise
Un avis sur la fusion avec Luxottica. Mais ce genre de sujet est rarement discuté sur la place publique ;)
Conclusion
J’espère que cet article vous a donné envie de lire le livre. Étant d’une lecture très rapide, je le recommande à tous les gens intéressés par les fleurons industriels français. Je pense qu’il pourrait intéressé aussi les dirigeants voulant intégrer un peu plus leur salariés à la vie économique de l’entreprise via l’actionnariat salarié.
Et en bonus, l’auteur est actif sur Twitter: https://twitter.com/xjfontanet
Vous avez encore un instant?
Si vous avez une recommandation de bon livres concernant les parcours industriels français (fleuron, ou échec) je suis preneur. Idem concernant le sujet de l’actionnariat salarié. Pour les inscrits vous pouvez répondre par mail et pour tous vous pouvez les lister en commentaire.
Et la dernière chose, si vous avez apprécié l’article, n'hésitez pas à le partager!